mercredi 11 novembre 2009


Que va dire Frédéric ?


Il y a peu, le 21 octobre, à la SGDL, Frédéric Miterrand nous déclara qu’il ferait tout pour les écrivains. et dressa une liste prometteuse des mesures qu’il comptait mettre en œuvre pour les auteurs – dont, par exemple, un abattement fiscal. Il était heureux de parler dans cette maison (qui est aussi sa maison puisqu’il écrit).
Je suppose qu’il incluait dans ses propos tous les auteurs, et pas seulement ceux de la France profonde, nés par exemple à Pithiviers dans le Loiret… Il est vrai que, dans son intervention au parlement, le député Raoult n’a pas dit que Marie N’Diaye était noire, car il n’est pas raciste, il n’a pas dit que la dite lauréate du Goncourt et néanmoins génétiquement africaine manquait de reconnaissance, elle qui a été nourrie au sein de la France, car il n’est pas raciste. Mais quand même ! «Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions», invoque le député de Seine-Saint-Denis Eric Raoult (« les couleurs » : un retour du refoulé ?). Il appelle au «devoir de réserve dû aux lauréats du Prix Goncourt».
Mais qu’a fait la pauvrette ? Elle a dit haut ce que beaucoup susurrent : «Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob.» Dénonçant une «atmosphère de flicage, de vulgarité», elle juge «monstrueux» l’actuel ministre de l’Immigration, Eric Besson, et son prédécesseur, Brice Hortefeux.
Et elle a joint les actes aux paroles en partant vivre à Berlin il y a deux ans et demi… Elle avait tenu ces propos dans les Inrockuptibles le 30 août dernier, avant le Goncourt. Elle persévère après, dans le n° de Grazia du 5/7 novembre : « quand on a vu apparaître son visage [celui de Sarkozy] le jour de l’élection, il y a un écoeurement, on s’est dit ce n’est plus possible ».
« Ces propos d'une rare violence, sont peu respectueux voire insultants, à l'égard de ministres de la République et plus encore du Chef de l'État, a commenté Eric Raoult. Il me semble que le droit d'expression ne peut pas devenir un droit à l'insulte ou au règlement de compte personnel […] C'est pourquoi, il me paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d'une plus grande exemplarité et responsabilité ».
Mais pourquoi donc les Goncourt sont-ils allés la chercher là-bas, en Allemagne, elle qui s’était reconduite toute seule et spontanément à la frontière ? Les académiciens Goncourt seraient-ils donc de dangereux révolutionnaires ? On ne peut pas faire confiance à aucun écrivain, Eric Raoult l’a enfin compris. Si on ne peut leur mettre une étoile jaune, on pourrait au moins leur mettre une plume quelque part et leur imposer le couvre page, en guise de couvre feu ?
M. le Député demande donc à M. le Ministre de la culture et de la communication de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu'il compte entreprendre en la matière. On attend avec impatience la réaction de Frédéric…
Mathias Lair,
Secrétaire général de l’Union des Ecrivains


Des écrivains tenus au devoir de réserve ?


Un aspect de la proposition faite par le député Eric Raoult, aspect implicite dans le texte de Mathias Lair, Que va dire Frédéric ?, auquel par ailleurs je souscris entièrement, dépasse le panorama du ministère de la culture. Il conditionne le statut même de l'écrivain. Peut-on, en démocratie, demander aux écrivains de se soumettre à un devoir de réserve ? N'y a-t-il pas antinomie totale entre un tel devoir et les raisons profondes qui nous font écrire ?
Certes, le député n'a en vue que les lauréats du prix Goncourt. Quel auteur n'est pas, potentiellement, un lauréat ? Marie N'Diaye ne savait pas, lors de ses déclarations en août aux Inrockuptibles, que cette malchance allait lui échoir.
Où sommes-nous donc ? C'est dans les dictatures que l'on impose aux écrivains de se taire. Et c'est au lendemain du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, objet de célébrations européennes, qu'un député de notre république fait pareille proposition.
M. Eric Raoult nous offre-t-il là un sujet de fiction : le retour plus de vingt ans en arrière par un tunnel nous débarquant de l'autre côté du mur ?
Françoise Hàn
Secrétaire adjointe de l'Union des Ecrivains

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