jeudi 16 avril 2009

Le numérique :
À livres riches, @uteurs pauvres ?


TABLE RONDE ORGANISÉE PAR LE CPE, LE 14 MAI
18H30 - 20H00 - au MOTif (Observatoire du livre et de la lecture en Ile-de-France)

Avec Christophe Caron, Cory Mac Cloud, Olivier Jouvray, Constance Krebs ...
Modération : Karine Papillaud, journaliste


Pour créer des oeuvres numériques adaptées aux nouvelles pratiques de lecture, il ne suffira pas d’aligner des contenus, texte, image et son : le débat placera l’auteur au centre des projets d’enrichissement numérique des livres !
Avec le numérique, les relations des auteurs avec les éditeurs, et les droits des auteurs, dont le droit moral, vont-ils devenir virtuels ? Y aura-t-il des contrats séparés, et sous quelles conditions, pour l’oeuvre numérique d’un côté, pour le livre imprimé de l’autre ?
Comment s’assurer que les méta-données, nécessaires au catalogage d’une oeuvre, et dont le nombre est multiplié par l’enrichissement numérique, seront compatibles ? Faut-il appeler à la création d’une société de gestion collective de l’exploitation des oeuvres numériques ?
Ces questions devront être abordées avec les éditeurs qui demeureront les garants de la qualité éditoriale des oeuvres dématérialisées qu’ils publieront, de la fi abilité de leurs contenus, et de leur disponibilité sur la toile. Un dialogue entre organisations d’auteurs et les éditeurs autour des « usages » liés à l’édition et à la diffusion d’une oeuvre numérique devrait s’instaurer.
Et comme toujours, il reviendra aux pouvoirs publics de concevoir et de mettre en oeuvre une politique du livre et de la lecture – en ligne, cette fois.

Le MOTif - 6, Villa Marcel-Lods - Passage de l’Atlas, 75019 Paris - 01 53 38 60 61
Renseignements : Sophie Béhar - 01 40 51 04 01
LA POÉSIE FORTIFIE LA LANGUE


Au dernier salon du livre de Paris, le Mexique était à l’honneur. Parmi les écrivains invités deux poètes indiens étaient présents, Briceida Cuevas Cob et Juan Gregorio Regino. La première écrit en maya, le second en mazatèque. Dans les diverses régions du pays, des écrivains indiens publient dans leur langue natale.
Depuis une vingtaine d’années, au Chiapas, existe un mouvement culturel impulsé par des hommes et des femmes mayas et zoques, conscients de la nécessité de revendiquer et valoriser leur identité.1
S’étant rendu compte de la fragilité de leur histoire, de leur culture, due au fait que leur langue est uniquement orale, certains se sont mis à la tâche d’un véritable sauvetage en récoltant les légendes, les prières, les témoignages, et en inventant une langue écrite.
D’autres également, s’apercevant que leur langue s’appauvrissait, ont entrepris d’écrire des récits, des poèmes. Et à la question « pourquoi écrivez-vous en langue indienne ? » la réponse récurrente de tous les poètes a été : pour fortifier ma langue.Ces poètes sont tous des militants. Ils ne baissent pas la tête. Leurs exigences se sont fait entendre dans les accords de San Andrés de 1996. Ils sont la voix, les porte-parole de ces Indiens, qui depuis la conquête espagnole, il y a presque cinq cents ans, ont été opprimés, et en but à un racisme qui ne s’est jamais atténué jusqu’à maintenant. Leurs coutumes, leur religion, ils n’ont jamais cessé de les pratiquer au nez et à la barbe des colonisateurs d’abord, puis des mestizos (métis) issus de ces colonisateurs.
Ils ont résisté en silence, mais ils ont gardé leur âme indienne intacte. Il suffit de les côtoyer pour se rendre compte que les grandes idées mayas sont toujours là, très présentes. Les poètes, les écrivains, se sont mis en devoir de faire vivre dans leur langage écrit toute la tradition orale des Mayas, mais en s’inscrivant et en s’engageant dans une littérature contemporaine.
Ils sont convaincus qu’un peuple sans connaissance artistique est un peuple marginalisé, avec peu de possibilité de développement social, et que la pluralité culturelle du Chiapas est synonyme de richesse. Ils écrivent dans leur propre langue, pour les Indiens, et traduisent eux-mêmes en espagnol, pour que les Mexicains se rendent compte qu’ils existent, qu’ils ont une histoire, une culture, eux aussi. Ils écrivent pour que leur peuple grandisse.
Voici ce que m’a dit un de ces poètes, Alberto Goméz Pérez : « Notre lutte est une lutte de classe. Une lutte de marginaux, d'exploités. En écrivant dans notre langue, en dehors du fait que c'est un droit pour lequel nous luttons, c'est surtout notre identité que nous sommes en train d'imposer dans l'histoire de notre pays. Celui-ci méprise les langues indiennes. Le racisme des métis a bloqué pendant longtemps l'avancée et le développement de ces langues. Je connais mon peuple, et j'en fais partie. Je suis nourri de sa culture. C'est elle qui a développé la partie intellectuelle de mon existence.
Nous, les Indiens, nous parlons tous notre langue. Mais le fait, pour moi, d'écrire en tzotzil, est quelque chose de beaucoup plus fort. En l'écrivant, je la nourris, je la fortifie. Je n'écris pas pour me sentir Indien, je suis Indien. Je n'ai pas coupé les racines qui viennent de mes ancêtres. Je suis Indien, donc j'écris en langue indienne. C'est ma raison d'être. Nous avons notre propre histoire, notre propre religion, notre propre politique, notre propre mentalité. Tout cela nous appartient, et ma lutte est de le faire passer dans ce que j'écris. Les grandes idées des peuples mayas, dont la religion, sont fortement vivantes dans le langage et dans la tradition orale. »
J’ajouterai juste quelques mots sur le nahualisme, base de leur religion.
Les nahuales hantent littéralement la pensée des Indiens, comme leur corps. Et, bien sûr, chaque poète en est imprégné.
Nous sommes tous composés essentiellement d’os et de viande, et d’un ensemble d’âmes, ou nahuales, toutes installées à l’intérieur du cœur. Le terme d’âme est bien sûr une simple convention, qu’il ne faut pas prendre dans le sens chrétien du mot.
En tzotzil, le nahual se dit ch’ulel, et peut se traduire par l’autre du corps. À titre d’exemple, le ciel se traduit par l’autre de la terre. Cet autre du corps se compose de trois classes d’êtres :
a) un minuscule oiseau, ou oiseau du cœur ;
b) le ch’ulel proprement dit, que l’on appelle l’authentique ch’ulel, pour le distinguer du terme générique d’âmes ;
c) les lab.
L’oiseau du cœur
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C’est un être tout petit, que la plupart du temps on imagine comme une poule pour les femmes et un coq pour les hommes. Il est absolument nécessaire pour vivre. Il ne peut, ne doit abandonner le corps, sinon celui-ci tombe malade, et meurt.
Cependant cet oiseau du cœur est la proie très convoitée d’une certaine classe d’êtres, les pále, une espèce de lab, c’est à dire une autre entité animiste des Indiens. L’oiseau du cœur est un être craintif et étourdi, responsable des palpitations du cœur. En effet lors d’une émotion, ou d’un effort du corps, il s’agite et halète. Quand le corps meurt, l’oiseau est libéré dans le monde, où il sera dévoré par les pále, ou par quelque animal sauvage.
L’authentique ch’ulel.
Il se trouve également dans le cœur, et lui aussi est nécessaire à la vie, mais en plus il intervient dans la caractérisation individuelle de chaque personne. C’est dans le ch’ulel que réside la mémoire, ainsi que les sentiments et les émotions. Il est responsable des rêves, et c’est en lui que prend naissance le langage. Il habite à la fois dans le cœur, et dans une montagne. Tout ce qui existe dans cette montagne est ch’ul, c’est à dire sans substance tangible.
Le ch’ulel s’évade du corps pendant le sommeil. Au cours de ses divagations extérieures, il peut être capturé et séquestré par un lab ou par un seigneur de la montagne, qui habitent sous la terre. Le corps alors finit par mourir si le ch’ulel n’y retourne pas dans un temps raisonnable.
Les lab.
Ce sont des animaux de toutes espèces, des éclairs, des vents… On possède au moins un lab, et treize au maximum. Ils confèrent un pouvoir individuel, mais peuvent aussi occasionner des risques considérables. Ils sont à l’intérieur du cœur (d’où ils peuvent sortir lorsque le corps dort, et en général ce n’est pas pour faire du bien) et à la fois disséminés à la surface du monde. On ne les maîtrise pas.
Oui, ces Indiens Mayas résistent en silence depuis la conquête espagnole. Lorsque le 12 juillet 1562, l’évêque espagnol Diego de Landa fit mettre le feu à tous les livres sacrés des Prêtres du soleil, sur la place de Mani, il croyait anéantir leur religion. Mais comme il est écrit dans Les Prophéties du Chilam Balam, « Ce savoir est venu jusqu’à nous malgré le bûcher des Espagnols, malgré la rage destructrice des hommes. » En faisant détruire les textes sacrés des Mayas, il a au contraire permis à la parole des Mayas d’entrer dans la légende. Les prêtres, qui ont été témoins de l’autodafé, ont essayé de réécrire les livres hiéroglyphiques en utilisant l’alphabet des conquérants. Ainsi sont nés Les prophéties du Chilam Balam et le Popol Vuh. C’est grâce à ces ouvrages que le monde maya est encore présent. Grâce à eux les Indiens actuels sont encore imprégnés par cette voix, lointaine, énigmatique, qui leur parle du temps inscrit dans le ciel, de ce lien qui les unit, qui unit l’homme depuis ses origines au destin de l’univers.
François PERCHE
1 L’Intrait d’Union a donné dans son numéro 51, page 2, quelques poèmes de poètes indiens du Chiapas.