lundi 14 novembre 2011

Amina Saïd
Jusqu'aux lendemains de la vie
désormais les mères dorment seules
parmi les portraits des morts
elles seules savent où ils s’en sont allés
et comment le long travail du mourir
déjà les séparait du vivant

les mères désormais seules errent
parmi les tombes des défunts
récitant le long des avenues de la mort
des prières en des langues inconnues
égrenant le lourd chapelet du temps écoulé

elles ne comptent plus le temps
aux nuits qui tombent sur la terre
ni aux matins qui se lèvent sur le monde
à tous elles demandent où commencent
où finissent les territoires de la mort

les mères découvrent la solitude
le monde circonscrit à un carré de terre dure
elles refont le même rêve qui entrebâille les ténèbres
conversent avec le vide des miroirs
redisent la même prière où se meurt la lumière du jour

désormais entre les draps défaits du temps
les mères célèbrent leurs noces solitaires
dans le silence profond des maisons
des horloges sans aiguilles
rythment le passage des heures

désormais la nuit a des yeux
qui traquent l’insomnie des mères
en elles habitent les deux anges qui demain
nous demanderont des comptes quand notre tour
viendra d’approcher les portes du ciel

le fil du chapelet rompu
les mères versent l’eau de leurs larmes
dans la coupelle des tombes
elles surveillent le vol des oiseaux
les messages des morts entre leurs ailes

notre seconde demeure se dresse
dans l’avenue de la mort disent les mères
pourquoi avons-nous donné la vie
pour jusqu’à notre dernier souffle
la disputer à l’ombre

des nôtres nous ne voyons qu’os blanchis
nos mains souillées de la terre des cimetières
nous plantons arbres et arbustes que leurs branches
soient le toit de leur nouvelle demeure
si seulement nous avions su disent les mères

nous relisons les lettres des défunts
et imaginons des réponses neuves
tout s’éclaire lorsqu’il est trop tard
nous n’avons plus assez du fil des regrets
pour assembler les morceaux de notre nuit

nos mains tremblent disent encore les mères
à contempler de trop profondes ténèbres
nos yeux ne voient presque plus la lumière
les soleils ont déserté nos jardins et les nuages
en de longs haillons gris pendent aux arbres

tous nous dansons accrochés tels des pantins
au bout de la corde du temps
nos gestes sont la réplique
de gestes anciens et personne désormais
n’entend notre parole expropriée

que n’aurions-nous fait pour ceux que nous aimons
ôtant les échardes du bouquet épineux de la vie
puis une à une les roses se sont flétries
désormais depuis le cadre d’une fenêtre
nous contemplons les noces de la mer avec l’horizon

notre vie une lueur vacillante environnée d’ombre
peu à peu nous nous défaisons de nos vertèbres
chaque jour courbées davantage
par le poids dérisoire de la mémoire
et par l’attente de notre propre fin

Copyright Amina Said. All rights reserved.

Amina Saïd a publié de nombreux recueils de poésie et de contes. Parmi les plus récents : Les Saisons d’Aden, Al Manar, Neuilly, 2011 ; The Present Tense of the World : Poems 2000-2009, traduction et préface de Marilyn Hacker, édition bilingue, Black Widow Press, Boston, 2011.
Elle a traduit six romans et un recueil de nouvelles de l’écrivain philippin F. Sionil José

Le poème Jusqu’aux lendemains de la vie est reproduit avec son autorisation. Une version anglaise a également paru à Londres.


PÉTITION LEFTAH

Levez l’interdiction sur le livre de Mohamed Leftah !

Depuis sa parution en France en décembre 2010, Le Dernier Combat du captain Ni’mat, roman posthume de l’écrivain Mohamed Leftah, est introuvable dans les librairies marocaines. Le fait que ce livre ait été, vu ses qualités littéraires exceptionnelles, couronné récemment par le prix de la Mamounia, à Marrakech, n’a rien changé à la situation. Par ailleurs, les demandes d’éclaircissement adressées à ce sujet par nombre d’organes de presse au ministre de la Communication sont restées lettre morte. La conclusion qui s’impose est que nous avons bel et bien affaire à une mesure d’interdiction.
Nous, écrivains et intellectuels signataires de cet appel, exprimons notre indignation face à une mesure qui porte gravement atteinte à la liberté d’expression et de pensée au Maroc. Nous estimons aussi qu’elle constitue une insulte à l’intelligence et à la soif de connaissance du lecteur marocain. Nous appelons toutes les consciences attachées à la liberté de la culture à joindre leurs voix aux nôtres pour dénoncer cette mesure inique et exiger la levée immédiate de la censure qui frappe le livre de Mohamed Leftah.

Pour signer la pétition (en précisant « Pétition Leftah« ) : pacte@culturetoute.net

dimanche 13 novembre 2011

Pourquoi surtaxer la princesse de Clèves ?

Voilà la TVA du livre portée à 7%, ce qui va induire une déflation culturelle : les libraires seront les premiers touchés, donc les éditeurs, donc les auteurs. Et avec eux la culture pour tous, que l’on pourrait pourtant qualifier de bien de première nécessité. Ce n’est pas l’avis de tout le monde : sous le libéralisme dit démocratique, la capacité de penser de critiquer et donc de décider de son sort, la capacité d’être un véritable individu (à distinguer de l’égoïsme de masse) est assimilée à une bizarrerie, voire un danger – en tous cas un mauvais calcul économique !
On sait bien ce que l’on va nous rétorquer : refuser la TVA à 7%, c’est refuser de participer à l’effort collectif. Ah ces écrivains, toujours prêts à ne pas faire comme tout le monde ! La démocratie, ils n’en veulent pas ! Égoïstes, nombrilistes qu’ils sont !
Pourtant, en refusant le livre taxé à 7%, ce n’est pas notre condition que nous souhaitons défendre. Pas seulement.
En refusant la TVA à 7% pour le livre, nous interpelons notre gribouille de la culture, celui-là même qui récemment encore se déclarait grand défenseur des libraires, comme il se déclara défenseur des auteurs après son accession au ministère ; qui conserve la TVA à 5,5% pour le livre numérique tout en acceptant que ses principaux bénéficiaires, Amazon et Apple (lesquels viennent de se mettre en cheville avec l’édition française) installent leurs sièges dans un paradis fiscal, le Luxembourg, afin d’échapper au grand effort national…
Ajoutons que l'augmentation de la TVA grèvera le budget de l'Éducation pour les manuels scolaires fournis gratuitement, l'État perdant ainsi ce qu'il percevra de l'autre côté, ou le budget des parents d'élèves quand les manuels sont à leur charge, et pour tous les livres le budget des bibliothèques publiques.
En refusant la TVA à 7% pour le livre, nous refusons de payer le coût de la politique des amis. Car on sait que les restrictions à l’ordre du jour ne toucheront pas les amis : ni les grosses entreprises, ni les banques (ou si peu !), ni les grosses fortunes. Autrement dit, les classes moyenne et ouvrière, écrivains compris, vont payer pour ce qu’elles ont déjà payé. C’est vraiment se foutre du monde !
Voilà pourquoi il faut s’opposer à la TVA à 7% pour le livre !