dimanche 6 septembre 2009


Manifeste de la pensée insoumise

Dans les journées qui ont suivi le 12 juin de la grande machination électorale, à Téhéran, une balle des miliciens bassidji a tué au coeur la jeune philosophe Neda Agha Sultan.
Elle était simplement parmi les manifestants, dont la protestation “considère comme illégitime tout gouvernement qui ne respecte pas la volonté du peuple”, comme vient de le dire l’ayatollah Montazéri, jadis successeur désigné de Khomeini, le fondateur de la République iranienne. Là où “la confiance est perdue”, où “nous avons tous perdu dans cette élection”, selon les termes de l’ancien président de la République, Rafsadjani, actuel président du Conseil des experts qui a élu l’actuel Guide suprême Khamenei. Il est entendu en effet maintenant que 31 millions de voix seraient allées à l’opposition : 19 à Moussavi et 12 à Kharoubi – contre 6 millions à Ahmadinejad.
Qui est Neda Agha Sultan ? Une jeune femme qui travaillait “sur Descartes, Nietzsche, Avicenne”.
Descartes : le nom qui signifie l’exploration de la puissance infinie de la pensée, découverte au cœur du doute.
Nietzsche : le projet qui explore le mouvement de la transvaluation de toutes valeurs, entrepris par “la mise en garde devant tout événement”. Et pour qui le devenir est “plus profond et plus métaphysique que l’être”.
Avicenne, Ibn Sina : le penseur persan, le grand philosophe-médecin du Traité de la Shifâ, de la Guérison, percevant la ‘métaphysique’ comme la discipline de la pensée qui, plutôt que de survenir ‘après la physique’ - comme l’indique la racine de ce mot grec transcrit passionnément en arabe - doit intervenir avant l’exploration de la science, comme un préliminaire critique.
Ainsi le soulignait avant lui déjà Alfarâbi, l’énigmatique philosophe persan ou turc de langue arabe né au coeur de l’Asie, dont Avicenne découvrait à Boukhara déjà, en manuscrit, le bref et étincelant “Essai sur la métaphysique” : comme la pensée de la définition ou de la limite.
Or l’appel des manifestants prend maintenant des formes nouvelles. Ainsi en célébrant le quarantième jour depuis la mort de Neda Sultan, le 30 juillet, qui était aussi l’anniversaire de la mort de Sohravardi, le philosophe et poète de la pensée qui fut executé en 1191 sur l’ordre du fanatisme. Neda signifie l’appel, en persan. Son nom est désormais l’appel à la lutte contre la tyrannie du ‘Guide” qui a pris finalement parti pour un ‘président’ faussement élu.
Contre la tyrannie, l’intolérance et la bêtise, sont appelés tous les démocrates du monde. Les journées qui se succèdent depuis le 20 juin prennent la forme d’un appel permanent “contre un islam rigoriste et idéologique”. “Contre mensonge, violence et répression”.
Neda est aujourd’hui devenue à Téhéran le symbole de la liberté et de l’espoir dans l’avenir. Elle demeure le symbole d’un Iran qui vient. Face à l’Iran du pouvoir d’aujourd’hui, appuyé sur des milices tueuses et des services secrets, soutenus à l’étranger par ceux du FTB de Poutine, experts en meurtres camouflés et en police anti-émeutes. Ainsi dans les manifestations du peuple iranien, on entend le cri de : “mort à Poutine !”.
– Moins de vingt jours après la violence qui tue Neda à Téhéran, une autre forme de la violence vient frapper et aveugler, à Montreuil, en France, le 8 juillet, le jeune cinéaste Joachim Gatti, petit-fils du grand créateur de théâtre, Dante Armand Gatti. Certes il ne manifestait pas contre l’élection faussée d’un président, mais simplement contre l’expulsion d’un pacifique squat d’immigrés.
Quand la maire de Montreuil, Dominique Voynet, a questionné la sécurité de Saint-Denis sur ce tir meurtrier par flash ball, le haut gradé des services policiers a donné cette réponse, cette ‘justification’ sans doute à ses yeux : “en Iran la police tire sur les manifestants”...
Sous la violence du tir et la douleur, le visage ensanglanté, Joachim Gatti est jeté à terre. “Cinq d’entre nous ont été blessés et j’ai perdu un œil.” Il ajoutera : “Il m’en reste un, et la détermination à continuer.”
Depuis 2002 l’usage du flash ball est autorisé, et la police de proximité a été supprimée, au grand renforcement des ‘forces de l’ordre’. L’effet clair, bientôt ne fut-il pas le déferlement des voitures brûlées ? Mais le flash ball ? Est-ce devenu le symbole, ‘adouci’ pour l’usage ’occidental’, de la violence d’Etat ?
La démocratie trop policière serait-elle au fanatisme totalitaire ce que le flash ball dans les yeux est à la balle au coeur ?
Mais en antithèse, ce que les splendides trilogies dramatiques de Dante Gatti – Le Poisson Noir, La vie d’Auguste G., Sacco Vanzetti, réfléchies dans La Parole errante – seraient au grand triptyque philosophique qui était cher à Neda : Descartes, Nietzsche, Avicenne, prolongé par Sohravardi.
A travers le triptyque que travaillait Neda, dans Téhéran soudain enflammée par la provocation du mensonge électoral, le monde entier peut désormais entendre le propos cinglant du Zarathustra nietzschéen : “l’Etat, c’est le plus froid de tous les monstres froids, il ment froidement, et voici le mensonge qui suinte de sa bouche : moi, l’Etat, je suis le peuple..”
Le visage de Neda dessine la limite où un peuple cesse de supporter le mensonge d’Etat.

Jean Pierre Faye
1er août 2009

mercredi 27 mai 2009

LES DROITS DERIVES NE DOIVENT PAS PARTIR A LA DERIVE

Les contrats d’édition comportent le plus couramment la cession par l’auteur à l’éditeur, outre celle du droit de publier un ouvrage sous forme imprimée, celle des droits dits annexes ou dérivés : droits de traduction en toutes langues, de représentation, d’adaptation, de reproduction et d’exploitation par enregistrement mécanique ou magnétique ainsi que tous procédés visuels, auditifs ou informatiques, à l’exception des droits d’adaptation audiovisuelle. Rappelons que ces derniers, si l’auteur accepte de les céder à l’éditeur de son ouvrage imprimé, doivent obligatoirement faire l’objet d’un contrat séparé, la répartition des sommes qui en proviennent étant à négocier.
Pour les droits dérivés autres qu’audiovisuels, l’usage, en cas de cession à un tiers, est de répartir par moitié entre l’auteur et l’éditeur les sommes nettes perçues par ce dernier. Cette règle s’applique à la cession à un tiers des droits numériques : numérisation de l’ouvrage entier commercialisé sous forme de e-book ou consultable à distance, en tout ou en partie.
Si l’éditeur choisit d’exploiter lui-même les droits numériques, il en va autrement ; un contrat séparé doit être signé et le pourcentage des droits décidé d’un commun accord.
Il y a donc lieu pour l’auteur de bien distinguer entre les deux formes d’exploitation des droits numériques de son livre : soit l’éditeur s’en charge lui-même, et il aura à s’entendre avec l’auteur sur les conditions d’un contrat spécifique, soit il cède à un tiers ce droit d’exploitation numérique, et les sommes nettes qu’il en retirera seront à partager par moitié entre l’auteur et lui-même, conformément au contrat signé pour l’édition de l’ouvrage.
Il semblerait qu’un flou règne à ce sujet dans les propositions faites par certains éditeurs à leurs auteurs. L’Union des écrivains appelle donc à la vigilance. Les auteurs doivent veiller à ce que leurs contrats prévoient le partage par moitié des sommes nettes perçues par leur éditeur sur tous les droits dérivés cédés à des tiers, quelle que soit la nature de ces droits : traduction en langues étrangères, reproduction, dont la photocopie, représentation, enregistrement par tout procédé, numérisation de l’ouvrage entier, adaptation en tout ou en partie dans une œuvre numérique, incorporation de l’ouvrage dans une collection numérique (dans le cas d’abonnements à des « bouquets »).
Rien, dans l’économie actuelle de l’édition, ne justifierait l’augmentation de la part de l’éditeur sur les droits dérivés.
Union des écrivains

jeudi 16 avril 2009

Le numérique :
À livres riches, @uteurs pauvres ?


TABLE RONDE ORGANISÉE PAR LE CPE, LE 14 MAI
18H30 - 20H00 - au MOTif (Observatoire du livre et de la lecture en Ile-de-France)

Avec Christophe Caron, Cory Mac Cloud, Olivier Jouvray, Constance Krebs ...
Modération : Karine Papillaud, journaliste


Pour créer des oeuvres numériques adaptées aux nouvelles pratiques de lecture, il ne suffira pas d’aligner des contenus, texte, image et son : le débat placera l’auteur au centre des projets d’enrichissement numérique des livres !
Avec le numérique, les relations des auteurs avec les éditeurs, et les droits des auteurs, dont le droit moral, vont-ils devenir virtuels ? Y aura-t-il des contrats séparés, et sous quelles conditions, pour l’oeuvre numérique d’un côté, pour le livre imprimé de l’autre ?
Comment s’assurer que les méta-données, nécessaires au catalogage d’une oeuvre, et dont le nombre est multiplié par l’enrichissement numérique, seront compatibles ? Faut-il appeler à la création d’une société de gestion collective de l’exploitation des oeuvres numériques ?
Ces questions devront être abordées avec les éditeurs qui demeureront les garants de la qualité éditoriale des oeuvres dématérialisées qu’ils publieront, de la fi abilité de leurs contenus, et de leur disponibilité sur la toile. Un dialogue entre organisations d’auteurs et les éditeurs autour des « usages » liés à l’édition et à la diffusion d’une oeuvre numérique devrait s’instaurer.
Et comme toujours, il reviendra aux pouvoirs publics de concevoir et de mettre en oeuvre une politique du livre et de la lecture – en ligne, cette fois.

Le MOTif - 6, Villa Marcel-Lods - Passage de l’Atlas, 75019 Paris - 01 53 38 60 61
Renseignements : Sophie Béhar - 01 40 51 04 01
LA POÉSIE FORTIFIE LA LANGUE


Au dernier salon du livre de Paris, le Mexique était à l’honneur. Parmi les écrivains invités deux poètes indiens étaient présents, Briceida Cuevas Cob et Juan Gregorio Regino. La première écrit en maya, le second en mazatèque. Dans les diverses régions du pays, des écrivains indiens publient dans leur langue natale.
Depuis une vingtaine d’années, au Chiapas, existe un mouvement culturel impulsé par des hommes et des femmes mayas et zoques, conscients de la nécessité de revendiquer et valoriser leur identité.1
S’étant rendu compte de la fragilité de leur histoire, de leur culture, due au fait que leur langue est uniquement orale, certains se sont mis à la tâche d’un véritable sauvetage en récoltant les légendes, les prières, les témoignages, et en inventant une langue écrite.
D’autres également, s’apercevant que leur langue s’appauvrissait, ont entrepris d’écrire des récits, des poèmes. Et à la question « pourquoi écrivez-vous en langue indienne ? » la réponse récurrente de tous les poètes a été : pour fortifier ma langue.Ces poètes sont tous des militants. Ils ne baissent pas la tête. Leurs exigences se sont fait entendre dans les accords de San Andrés de 1996. Ils sont la voix, les porte-parole de ces Indiens, qui depuis la conquête espagnole, il y a presque cinq cents ans, ont été opprimés, et en but à un racisme qui ne s’est jamais atténué jusqu’à maintenant. Leurs coutumes, leur religion, ils n’ont jamais cessé de les pratiquer au nez et à la barbe des colonisateurs d’abord, puis des mestizos (métis) issus de ces colonisateurs.
Ils ont résisté en silence, mais ils ont gardé leur âme indienne intacte. Il suffit de les côtoyer pour se rendre compte que les grandes idées mayas sont toujours là, très présentes. Les poètes, les écrivains, se sont mis en devoir de faire vivre dans leur langage écrit toute la tradition orale des Mayas, mais en s’inscrivant et en s’engageant dans une littérature contemporaine.
Ils sont convaincus qu’un peuple sans connaissance artistique est un peuple marginalisé, avec peu de possibilité de développement social, et que la pluralité culturelle du Chiapas est synonyme de richesse. Ils écrivent dans leur propre langue, pour les Indiens, et traduisent eux-mêmes en espagnol, pour que les Mexicains se rendent compte qu’ils existent, qu’ils ont une histoire, une culture, eux aussi. Ils écrivent pour que leur peuple grandisse.
Voici ce que m’a dit un de ces poètes, Alberto Goméz Pérez : « Notre lutte est une lutte de classe. Une lutte de marginaux, d'exploités. En écrivant dans notre langue, en dehors du fait que c'est un droit pour lequel nous luttons, c'est surtout notre identité que nous sommes en train d'imposer dans l'histoire de notre pays. Celui-ci méprise les langues indiennes. Le racisme des métis a bloqué pendant longtemps l'avancée et le développement de ces langues. Je connais mon peuple, et j'en fais partie. Je suis nourri de sa culture. C'est elle qui a développé la partie intellectuelle de mon existence.
Nous, les Indiens, nous parlons tous notre langue. Mais le fait, pour moi, d'écrire en tzotzil, est quelque chose de beaucoup plus fort. En l'écrivant, je la nourris, je la fortifie. Je n'écris pas pour me sentir Indien, je suis Indien. Je n'ai pas coupé les racines qui viennent de mes ancêtres. Je suis Indien, donc j'écris en langue indienne. C'est ma raison d'être. Nous avons notre propre histoire, notre propre religion, notre propre politique, notre propre mentalité. Tout cela nous appartient, et ma lutte est de le faire passer dans ce que j'écris. Les grandes idées des peuples mayas, dont la religion, sont fortement vivantes dans le langage et dans la tradition orale. »
J’ajouterai juste quelques mots sur le nahualisme, base de leur religion.
Les nahuales hantent littéralement la pensée des Indiens, comme leur corps. Et, bien sûr, chaque poète en est imprégné.
Nous sommes tous composés essentiellement d’os et de viande, et d’un ensemble d’âmes, ou nahuales, toutes installées à l’intérieur du cœur. Le terme d’âme est bien sûr une simple convention, qu’il ne faut pas prendre dans le sens chrétien du mot.
En tzotzil, le nahual se dit ch’ulel, et peut se traduire par l’autre du corps. À titre d’exemple, le ciel se traduit par l’autre de la terre. Cet autre du corps se compose de trois classes d’êtres :
a) un minuscule oiseau, ou oiseau du cœur ;
b) le ch’ulel proprement dit, que l’on appelle l’authentique ch’ulel, pour le distinguer du terme générique d’âmes ;
c) les lab.
L’oiseau du cœur
.
C’est un être tout petit, que la plupart du temps on imagine comme une poule pour les femmes et un coq pour les hommes. Il est absolument nécessaire pour vivre. Il ne peut, ne doit abandonner le corps, sinon celui-ci tombe malade, et meurt.
Cependant cet oiseau du cœur est la proie très convoitée d’une certaine classe d’êtres, les pále, une espèce de lab, c’est à dire une autre entité animiste des Indiens. L’oiseau du cœur est un être craintif et étourdi, responsable des palpitations du cœur. En effet lors d’une émotion, ou d’un effort du corps, il s’agite et halète. Quand le corps meurt, l’oiseau est libéré dans le monde, où il sera dévoré par les pále, ou par quelque animal sauvage.
L’authentique ch’ulel.
Il se trouve également dans le cœur, et lui aussi est nécessaire à la vie, mais en plus il intervient dans la caractérisation individuelle de chaque personne. C’est dans le ch’ulel que réside la mémoire, ainsi que les sentiments et les émotions. Il est responsable des rêves, et c’est en lui que prend naissance le langage. Il habite à la fois dans le cœur, et dans une montagne. Tout ce qui existe dans cette montagne est ch’ul, c’est à dire sans substance tangible.
Le ch’ulel s’évade du corps pendant le sommeil. Au cours de ses divagations extérieures, il peut être capturé et séquestré par un lab ou par un seigneur de la montagne, qui habitent sous la terre. Le corps alors finit par mourir si le ch’ulel n’y retourne pas dans un temps raisonnable.
Les lab.
Ce sont des animaux de toutes espèces, des éclairs, des vents… On possède au moins un lab, et treize au maximum. Ils confèrent un pouvoir individuel, mais peuvent aussi occasionner des risques considérables. Ils sont à l’intérieur du cœur (d’où ils peuvent sortir lorsque le corps dort, et en général ce n’est pas pour faire du bien) et à la fois disséminés à la surface du monde. On ne les maîtrise pas.
Oui, ces Indiens Mayas résistent en silence depuis la conquête espagnole. Lorsque le 12 juillet 1562, l’évêque espagnol Diego de Landa fit mettre le feu à tous les livres sacrés des Prêtres du soleil, sur la place de Mani, il croyait anéantir leur religion. Mais comme il est écrit dans Les Prophéties du Chilam Balam, « Ce savoir est venu jusqu’à nous malgré le bûcher des Espagnols, malgré la rage destructrice des hommes. » En faisant détruire les textes sacrés des Mayas, il a au contraire permis à la parole des Mayas d’entrer dans la légende. Les prêtres, qui ont été témoins de l’autodafé, ont essayé de réécrire les livres hiéroglyphiques en utilisant l’alphabet des conquérants. Ainsi sont nés Les prophéties du Chilam Balam et le Popol Vuh. C’est grâce à ces ouvrages que le monde maya est encore présent. Grâce à eux les Indiens actuels sont encore imprégnés par cette voix, lointaine, énigmatique, qui leur parle du temps inscrit dans le ciel, de ce lien qui les unit, qui unit l’homme depuis ses origines au destin de l’univers.
François PERCHE
1 L’Intrait d’Union a donné dans son numéro 51, page 2, quelques poèmes de poètes indiens du Chiapas.

jeudi 5 mars 2009

UN LIVRE NECESSAIRE!

Pour connaître vos droits, pour savoir négocier avec votre éditeur :

"Le contrat d’édition - Comprendre ses droits, contrôler ses comptes"

Ouvrage rédigé sous la direction d’Emmanuel de Rengervé
Une publication du CPE, 2007 - 12 euros,
à commander à l’Union des Ecrivains
DROITS ET CONTRATS NUMÉRIQUES

On trouvera ici l’état de notre réflexion en mars 2009.
Rien de définitif, donc. D’autant plus
que nous sommes en train d’élaborer
avec les autres organisations d’auteurs
une base commune.


DÉFINITION DU LIVRE NUMÉRIQUE

Il faut distingue deux cas de figure :

1. L’ADAPTATION NUMÉRIQUE comme adaptation du livre papier

Le livre numérique est dérivé du livre papier, qui constitue l’édition première. Il peut prendre trois formes distinctes :
- Celle du livre numérisé ou fac simili, à savoir la reproduction numérique du livre papier, sans autre changement que l’adaptation de la mise en forme aux contraintes de l’écran numérique.
- Celle de l’intégration du livre papier ou d’une partie de celui-ci dans un objet numérique.
- Celle de l’incorporation du livre papier dans une collection numérique (dans le cas d’abonnements à des « bouquets »), c'est-à-dire une base de données numérique)

2. LE LIVRE NUMÉRIQUE

C’est une œuvre conçue pour le numérique, et dont l’exploitation première est numérique. Ses modalités de production et d’exploitation sont aujourd’hui en grande partie inconnues.
On peut supposer que pour les œuvres numériques, les auteurs auront d’autres partenaires que les éditeurs de livre papier.
NB : Pourquoi « livre »e plutôt que « œuvre » : l’œuvre est réalisée par l’auteur. Le livre est l’œuvre de l’auteur enrichie du travail de l’éditeur en vue d’en faire un objet exploitable.

LES CONTRATS

Pour l’adaptation numérique du livre papier
Une clause du contrat premier (papier) :
La durée de cession est la même que la durée effective de l’exploitation du livre papier. La cessation de l’exploitation papier entraîne donc la cessation de l’exploitation numérique, ou implique la négociation d’un nouveau contrat qui correspond à la logique du livre numérique (voir plus bas).
Les droits d’auteur sont proportionnels aux revenus du livre numérique, et spécifiques.
L’assiette pourrait être calculée ainsi : sachant que le coût de fabrication numérique avoisine les 20% du prix de vente et la distribution 10%, on peut estimer les droits d’auteur à 25% du prix de vente, ce qui laisse à l’éditeur 55% du prix de vente (on conserve le rapport de 1 à 3 qui existe pour le papier entre les droits de l’auteur et le chiffre d’affaires de l’éditeur). Mais ceci reste hépothétique tant que le modèle économique de l'édition numérique reste inconnu.
Assiette des droits :
Remarque générale : l’informatique permet d’établir une comptabilité exacte et automatisée des ventes. Il est donc toujours possible, même dans le cas des oeuvres collectives, de calculer les revenus au centime près.
Livre numérisé : un pourcentage sur les revenus des téléchargements et consultations
Intégration : à définir
Incorporation : un pourcentage sur les revenus des téléchargements et consultations, que les techniques informatiques permettent de calculer au centime près et en temps réel. (Flammarion, en cas d’abonnement à un bouquet, calcule au prorata du nombre d’œuvres : pourquoi pas, puisque la proportionnalité est sauvegardée)
Distinguer deux cas de figures : soit l’éditeur assure lui-même l’exploitation numérique, ou il fait cession des droits numériques. Dans ce derniers cas, on est dans la logique du droit dérivé (50/50 entre auteur et éditeur)
Délais de paiement : 1er janvier et 1er juillet de chaque année.
L’exploitation permanente et suivie : le fichier informatique du livre numérique est disponible 24 heures sur 24.
Droit moral : nécessité, en remplacement du BAT, d’un BON À EXPLOITER numérique, car l’environnement de l’oeuvre (publicité, etc.) peut la défigurer.

Pour le livre numérique
Un contrat original renvoyant à une autre logique que celle du livre numérique.
La cession est limitée dans le temps (3 ans ou 5 ans)
Assiette des droits : une rémunération proportionnelle, d’environ 33%du prix de vente (consultation, téléchargement).
Prévoir des droits dérivés pour l’adaptation papier, audio-visuelle, et autre.
Mai 68, fantasmes originaires, et colonialisme

A la suite de textes déjà publiés
dans notre bulletin L'Intrait d'Union
à propos de Mai 68...


On décrit en psychanalyse trois fantasmes originaires, bien sûr inconscients, qui décrivent notre origine et donnent une forme à nos désirs ; à la manière des mythes au niveau d’une collectivité. Si leur structure est commune à chacun, toujours exprimée sous forme d’un scénario concret, le vocabulaire en est singulier, lié à notre histoire familiale et personnelle. La scène originaire met en scène le coït où nous fûmes conçus ; la scène de la séduction nous raconte comment un adulte nous fit découvrir la sexualité malgré nous ; le scénario où un enfant est battu décrit l’origine de notre castration, soit les limitations dont nous souffrons.
Au XIXème siècle semble apparaître, cette fois au niveau collectif, un scénario imaginaire remplissant une même fonction. Les conditions de son émergence tiennent sans doute à l’essor industriel capitaliste, au développement des techniques qui requièrent une formation plus longue et donc un retard dans l’entrée dans la vie active, et à la mondialisation. Ce scénario décrit un nouveau rapport social et les nouvelles classes qui en sont issues : nous avons d’un côté un père aimant mais sévère, omniscient et détenteur du capital ; de l’autre un enfant sauvage, débridé, plein d’énergie mais démuni. Je propose de l’appeler : le fantasme collectif du colonialisme. Il revêt plusieurs formes, il investit plusieurs champs. J’en décrirai trois.
Le colonialisme se développe avec la mondialisation, la nécessité de trouver de nouvelles ressources et de nouveaux marchés. Il ne s’agit plus de conquérir de nouveaux territoires pour les peupler comme ce fut le cas des Amériques, non plus de commercer à partir de comptoirs comme il fut courant avant l’âge des nationalismes, mais d’exploiter des pays et des hommes selon la logique industrielle nouvelle. Ainsi s’instaure un nouveau rapport entre colons et colonisés qui, par un effet de boomerang, va progressivement marquer l’ensemble des représentations et de la vie sociale de la métropole. Comme si on ne pouvait pas dominer impunément, sans effet dialectique.
On sait que le colonisé est à peine un homme puisque, comme le dit encore notre président d’aujourd’hui, « il n’est pas encore entré dans l’histoire ». Il vit dans un monde imaginaire ; à tel point que, soutient le psychiatre Carl Gustave Jung , il faut l’éveiller malgré lui à la vie consciente et active . Voici sa recette : prenez un noir, battez-le pour le rendre sensible et imprimer dans sa cervelle le message suivant : « tu es le facteur, tu vas porter cette lettre à Monsieur Schmoll ». Alors il pourra se lever et réaliser la mission confiée… C’est que le noir ne vit pas dans le même monde que nous, c’est un grand enfant, il faut savoir le mener durement pour l’amener à se développer malgré lui. C’est un primitif, une énergie libre. A ce titre il peut être dangereux, et il est naturellement dépravé. Sa sexualité est sans limite, animale, et il se livre à tous les vices en pure innocence. Il faut donc le dompter, pour son bien.
Jung ne fait que reprendre à un niveau soi disant psychologique ce que Tocqueville posait sur un plan politique dans son Travail sur l’Algérie, dès 1847 : la liberté démocratique n’est pas bonne pour tout le monde. « Il doit y avoir deux législations très distinctes en Afrique parce qu'il s'y trouve deux sociétés très séparées. Rien n'empêche absolument, quand il s'agit des Européens, de les traiter comme s'ils étaient seuls, les règles qu'on fait pour eux ne devant jamais s'appliquer qu'à eux ». Deux droits, instituant un « droit à la différence » pour le colon : « J'ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n'approuve pas, trouver mauvais qu'on brûlât les moissons, qu'on vidât les silos et enfin qu'on s'emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. […] Je crois, continue Tocqueville, que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l'époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu'on nomme razzias et qui ont pour objet de s'emparer des hommes ou des troupeaux ». En Algérie, ces actions civilisatrices firent un million de trépassés.
A cette figure du colonialisme extérieur vient se superposer celle d’un colonialisme intérieur. Le développement des fabriques et des firmes requiert de la main d’œuvre. Celle-ci est constituée par une immigration de l’intérieur : celle des paysans suffisamment affamés pour venir cherche pitance en ville, à n’importe quelle condition. Ils forment les masses prolétariennes, les premières à chercher à s’émanciper dès le XIXème siècle. Quatre dates suffisent à nous le rappeler : 1830, 1848, 1870, et 1917. On connaît la figure du prolétaire à la Zola : grand buveur et baiseur, dépravé lui aussi, et violent… Il est primitif pour cause de dégénérescence. Il faut exercer contre lui et pour lui un ferme paternalisme : qui aime bien châtie bien. Pour comprendre le rapport avec le premier colonialisme, il suffit de lire Frantz Fanon en remplaçant le mot « noir » par celui « d’ouvrier » : étonnant de voir comme le texte fonctionne ! Le racisme social est le pendant du racisme colonial.
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle apparaît un troisième colonialisme, cette fois entre générations, avec l’invention de l’adolescence.
Au Moyen-Âge, les enfants quittaient leurs parents très tôt. Vers sept ou huit ans, ils devenaient serviteurs, apprentis. Ils étaient directement mêlés à la vie des adultes, et disposaient d’une liberté, notamment sexuelle, qu’on ne peut imaginer aujourd’hui. C’était le temps des damoiseaux et des demoiselles, des garçons et des filles dont le langage a gardé quelque trace quand on parle de garçon boucher ou de fille de ferme. Cette liberté a commencé à être mise en cause dès le XVIème siècle, notamment grâce à l’action bienfaisante de l’Église. Les premières écoles se dotent de règlements militaires destinés à mater la turbulence juvénile. L’évolution est lente, et jalonnée de révoltes de jeunes. Jusqu’alors, on passait vite de l’enfance à l’âge adulte.
Ce n’est que de la deuxième moitié du XIXème siècle, avec la venue de l’âge industriel, que l’on peut dater l’apparition de l’adolescence, ce temps d’indéfinition entre l’enfance et la maturité. C’est la classe bourgeoise naissante qui, la première, change d’attitude vis à vis de ses enfants. La jeune fille reste à la maison, et se prépare à son avenir d’épouse. Elle est un atout, plus ou moins richement doté de qualités naturelles et économiques (l’un compensant éventuellement l’autre) pour la stratégie sociale de la famille. Le garçon, quant à lui, construit également son avenir en fréquentant une école qui cherche autant à le dresser qu’à l’instruire en le préparant à son futur métier. Le besoin de compétences techniques allongera de plus en plus le temps de la scolarisation, comme on sait.
La condition de ces nouveaux adolescents peut se résumer en deux mots : subordination et marginalisation. Ils ne travaillent plus, et sont coupés du monde des adultes qu’ils ne peuvent donc plus comprendre. Leur (relative) indépendance économique disparaît. Leur liberté se voit restreinte, ils restent sous le contrôle de la famille, dans un statut infantilisant. Leur sexualité est réprimée. En un mot, les parents créent un nouveau rapport de domination sur leurs enfants, et les assignent à réaliser les projets qu’ils échafaudent pour eux.
Dans le même temps, la vision de l’adolescence se construit dans le discours des sciences médicales. Les adolescents sont décrits comme instables et émotifs, incapables de se conduire par eux-mêmes. La répression sexuelle les conduit à s’adonner au « vice » de la masturbation, cause de nombreuses maladies et dégénérescences diverses. “ Il n’y a point sous le ciel de calamité qui doive provoquer davantage la sollicitude des hommes ”, écrivait le docteur Clément en 1875 . Enfin, à l’image des classes prolétariennes décrites à la même époque, les adolescents sont dangereux pour eux-mêmes et pour autrui. Il faut les protéger malgré eux, et utiliser à cette fin tous les moyens de l’amour, dont ceux de la discipline. Encore une fois, qui aime bien châtie bien.
L’adolescence s’installe comme phénomène universel en Europe dans la première moitié du XXème siècle. Les révoltes disparaissent, les jeunes retournent leur agressivité contre eux-mêmes, et se soumettent à la famille et aux institutions des adultes.

La colonisation des immigrés de l’intérieur ne va pas sans provoquer de réaction. Elle génère une guerre civile permanente, plus ou moins larvée selon les moments. En Europe, à partir de 1917, la guerre n’est pas toujours froide : les soviets, 1936, le fascisme, la résistance… et Mai 68. Il faut attendre les années 1990 pour ne plus craindre le « danger marxiste ».
En France, les communistes déposent les armes en 1945, sur l’ordre de Staline. Ils avaient conquis l’estime de la population : on aurait pu poursuivre 1936, en mieux. On le sait, ni les Etats-Unis ni l’URSS ne voulaient une France à gauche. Ils furent des alliés objectifs, comme on disait. La Grèce, l’Italie, la France auraient sinon pu basculer dans le socialisme. Emergent pourtant en France quelques conquête sociale, liées à une alliance de classes qui dure le temps de lancer la reconstruction du pays. Les entreprises nationalisées connaissent un embryon de co-gestion. Le programme du Conseil national de la résistance inspire les réformes ; celui-là même dont le Medef veut faire disparaître les traces aujourd’hui (droit du travail, retraite et sécurité sociale par mutualisation). Les gaullistes s’enorgueillirent ensuite de ces avancées qu’ils avaient du concéder.
Au beau milieu des trente glorieuses, qui sont aussi le temps fort de la guerre froide, la guerre civile renaît d’un autre côté, celui des colonies. D’un côté de la Méditerranée, en Algérie, elle est ouverte et sanglante ; de l’autre côté elle est larvée. Au nord, le manifeste des 121, les porteurs de valise, au sud, le général Salan, l’OAS, la droite colonialiste ; au milieu, De Gaulle godille adroitement. C’est le temps des coups d’état : le grand Charles se résout à servir de nouveau la France, les généraux félons menacent de débarquer. Il règne en France un climat d’insécurité et de surveillance policière. Le PC, encore une fois, commence par décevoir puisque Staline le veut. Les jeunes vont faire une guerre à laquelle ils ne croient pas. Plus de 22 000 d’entre eux meurent « pour la France » (on ne dit jamais laquelle). Certains y deviennent des salauds ordinaires (viols, tortures, assassinats…), d’autres y forgent une conscience politique. Pour eux, et pour la génération suivante, les fellaghas sont des héros de la libération. Comme leurs parents français en 39-45, ils ont pris les armes pour se libérer. Inconsciemment, ils vont leur servir de modèles.
Mai 68 survient six ans seulement après la libération de l’Algérie. Cette fois, la décolonisation est intérieure. Les trente glorieuses ont modifié les repères, la classe moyenne s’est développée. Les jeunes bourgeois ne sont plus assurés de leur avenir, l’héritage de classe n’est plus leur destin. Ils se sont américanisés, suite à l’occupation larvée des Etats-Unis : si les « américains » n’ont pu installer en Europe des gouvernements à leur solde comme ils l’avaient projeté (comme ils le font aujourd’hui en Irak), ils ont leurs bases militaires qui nous « protègent », ils occupent les mentalités.
Ceux-là qui sont au pouvoir, qui n’ont pu empêcher l’existence de la gauche marxiste, qui ont perdu la guerre contre les nazis et noué avec eux de honteuses collaborations, qui ont du céder à leurs anciens colonisés, vont-ils pouvoir continuer à coloniser leurs jeunes ? La condition des adolescents n’a guère changé depuis le XIXème siècle. Ils connaissent toujours la même dépendance économique et la même répression sexuelle. On exige toujours d’eux le total respect pour les vraies valeurs . En bref, la soumission dévote. Dans un régime de non reconnaissance normale et banale, et de maltraitance facile. Battre un jeune est alors usuel.
C’est de ce climat que naît Mai 1968. Il commence quand des étudiants de Nanterre se révoltent contre la répression sexuelle, et décident de coucher avec leurs copines étudiantes. Le fait peut paraître anecdotique. Il est lourd de sens. La contestation, un maître mot de Mai, n’est que seconde : l’action précède la réaction. Si un slogan peut résumer le mouvement, c’est celui de désir d’autonomie. En ce sens, c’est la reprise la plus pure de l’inspiration libérale première, contre le libéralisme perverti d’alors. C’est le pendant de l’idée de liberté, d’autodétermination dira-t-on, que sur d’autres rives les colons ont apportée aux colonisés, malgré eux… L’autonomie de 68, c’est la libération de tous les désirs (pas seulement sexuel !), c’est l’activité et non plus la soumission à l’ordre moral des pères sociaux qui se sont révélés défaillants. Les lois doivent être celles que l’on édicte pour le bien de tous, le savoir celui que l’on s’approprie et construit et non plus celui que l’on subit. Pendant deux mois, dans les amphis, on pense de nouvelles lois, de nouveaux savoirs. On pense collectivement, et par soi-même. Comme le font les anciens colonisés. Et bien sûr des alliances avec les autres colonisés de l’intérieur se font. Avec les femmes : elles aussi sont en lutte, elles sortent à peine de leur minorité sociale. Il y a peu, en 1965, elles n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte en banque, et devaient obtenir l’accord de leur mari pour pouvoir travailler. Avec les ouvriers, jusqu’à l’arrêt de Grenelle. Selon les souhaits staliniens, l’alliance des jeunes ouvriers avec les étudiants s’en trouve dissipée : il y aura donc le Mai bourgeois des classes moyennes, et le Mai des prolétaires. C’était sinon la fin de tout. De même que, aujourd’hui, les jeunes chômeurs des banlieues ne doivent surtout pas s’allier aux jeunes ouvriers et aux jeunes étudiants. Le cocktail serait trop détonnant.
Si Mai 68 ouvre une perspective en 2008, c’est peut-être bien celle-là…
Mathias Lair Liaudet